Alors que l'intelligence artificielle avale toujours plus de puissance de calcul, le calcul photonique émerge comme une alternative prometteuse. En utilisant la lumière plutôt que l'électricité, cette technologie pourrait transformer les data centers en machines plus rapides et bien moins énergivores.
L'intelligence artificielle fait tourner le monde numérique à plein régime, mais elle le fait aussi chauffer. Derrière chaque image générée, chaque conversation automatique ou chaque recommandation algorithmique, des milliards d'opérations mathématiques s'exécutent dans les entrailles des data centers. Et cette course effrénée à la puissance de calcul a un coût : celui de l'électricité. Aux États-Unis, la part des centres de données dans la consommation énergétique pourrait presque doubler d'ici 2028, passant de 6,7 % à 12 % selon une estimation du Lawrence Berkeley National Laboratory. Face à cette trajectoire difficilement soutenable, une technologie refait surface avec des arguments décisifs : le calcul photonique. En remplaçant les électrons par des photons – les particules de lumière – pour effectuer les opérations, cette approche promet une informatique plus rapide et moins gourmande.
Un modèle en quête de souffle
Les architectures électroniques traditionnelles, qui ont porté l'essor de l'intelligence artificielle jusqu'ici, commencent à montrer des signes d'essoufflement. À mesure que les modèles deviennent plus complexes, les processeurs classiques peinent à suivre le rythme, malgré les optimisations continues. Les calculs demandés par les IA modernes reposent sur des opérations hautement parallélisables, mais ces tâches saturent rapidement les capacités thermiques et énergétiques des composants électroniques. Même les cartes graphiques, autrefois championnes de ces calculs, voient leur rendement énergétique stagner. Cette situation crée une tension croissante entre l'ambition des ingénieurs de concevoir des IA toujours plus sophistiquées, et les contraintes physiques des circuits classiques.
Que la lumière soit !
Le calcul photonique repose sur une idée simple, presque poétique : utiliser la lumière pour traiter l'information. Contrairement aux puces électroniques classiques qui manipulent des électrons à travers des transistors, les puces photoniques font circuler des photons dans des circuits optiques miniaturisés. Ces particules de lumière, qui voyagent naturellement à très grande vitesse et sans générer de chaleur significative, permettent de réaliser certains types de calculs de manière plus fluide et plus rapide. Dans ces systèmes, les données sont d'abord converties en signaux lumineux, acheminées via des guides d'ondes, puis recombinées grâce à des composants comme les interféromètres, avant d'être retransformées en signaux électriques si besoin. Le résultat est une architecture hybride, qui imite la logique de l'électronique tout en profitant des propriétés uniques du rayonnement lumineux.
De la théorie à la pratique
Après des années de recherche théorique et de prototypes limités, le calcul photonique commence à démontrer son potentiel dans des applications concrètes. Deux entreprises issues du MIT, Lightmatter et Lightelligence, ont récemment franchi un cap en publiant dans la revue Nature les résultats de leurs puces photoniques capables de réaliser, à très grande vitesse, des multiplications de matrices — l'opération centrale dans le fonctionnement des réseaux de neurones. Lightelligence a ainsi réussi un calcul d'optimisation en seulement 0,015 microseconde, soit près de 850 fois plus vite qu'un système électronique équivalent. Lightmatter, de son côté, a montré que ses puces pouvaient exécuter jusqu'à 260 000 milliards d'opérations par seconde sur des tâches d'IA réelles, allant de la reconnaissance d'images à l'analyse de texte. Ces démonstrations marquent une étape cruciale : elles prouvent non seulement la viabilité du calcul photonique, mais aussi sa capacité à rivaliser avec, voire dépasser les meilleures puces électroniques actuelles dans certains contextes.