Les rapports entre les grands acteurs d'internet et leurs utilisateurs n'ont jamais été aussi tendus. La fondation Mozilla tire la sonnette d'alarme et publie le bilan de santé d'une Toile prête à se déchirer.
Marc Zuckerberg vient de témoigner devant le Congrès américain pour expliquer comment Facebook, dont il est le PDG, a pu laisser fuiter les données personnelles de près de 90 millions de personnes dans les mains de la société Cambridge Analytica, proche du président Trump. Cette audition est le point d'orgue d'une longue série de scandales qui ont éclaboussé le réseau social depuis deux ans. Mais Facebook n'est pas le seul géant d'internet accusé de mettre à mal la vie privée et la sécurité numérique de ses utilisateurs. Tous les grands noms de la Toile sont tour à tour montrés du doigt. Il faut dire que les entreprises de la Silicon Valley ont investi des sommes colossales dans le développement de l'intelligence artificielle et que celle-ci requiert une quantité astronomique de données afin de progresser. Si l'on ajoute à cela l'appétit des annonceurs pour le ciblage personnalisé, plus que jamais les informations collectées sont l'or noir du numérique. Dans son premier rapport sur la santé d'internet, la fondation à but non lucratif Mozilla met en exergue cinq maux qui sont en train de briser la Toile.
Grandeur et décadence
Cette étude qui a demandé le concours d'un grand nombre de chercheurs reconnaît tout d'abord que le tableau n'est pas entièrement sombre. De plus en plus de gens à travers le monde ont accès au réseau des réseaux à un prix de moins en moins élevé et bénéficient de débits en constante augmentation. Les protocoles sécurisés gagnent, en outre, du terrain. Mais de grandes problématiques prennent le pas sur ces progrès certains. La censure d'État est une réalité qui se répand de plus en plus à travers le monde et le harcèlement numérique gangrène forums, plateformes de diffusion et réseaux sociaux. Mozilla insiste sur trois autres points : la sécurité de l'internet des objets, la diffusion de fausses informations - les fameuses « fake news » - et la concentration du réseau entre les mains de quelques acteurs omnipotents comme Amazon, Facebook, Apple et Google. C'est ce dernier point qui inquiète le plus la fondation. Certes, son navigateur Firefox est en compétition directe avec Chrome et Safari, mais le fond du constat n'en demeure pas moins pertinent. Facebook ou Google ont réalisé la plus grande partie de leurs profits en collectant le plus grand nombre d'informations possibles sur leurs utilisateurs et en les revendant à des annonceurs publicitaires. Le risque de fuite, qui conduit à des fiascos comme celui de Cambridge Analytica, est inhérent à un système. « Nous sommes dans un modèle boulimique de données, ce qui se ponctue inévitablement par l'éparpillement des informations personnelles », explique Mark Surman, le directeur exécutif de Mozilla, avant de constater que « c'est un choix délibéré d'avoir un système publicitaire qui fonctionne de cette manière-là. Nous pourrions avoir un ensemble de pratiques publicitaires fondées sur les données beaucoup plus transparent et plus éthique si nous nous y mettions réellement. Nous savons comment changer les choses. C'est uniquement une question de volonté, il n'y a rien de mystérieux. » L'une des raisons pour lesquelles cette collecte de données est devenue aussi systématique et hors de contrôle est qu'elle est d'une simplicité enfantine à opérer. Les utilisateurs ne sont pas encore suffisamment sensibilisés à ces enjeux et ne sont, la plupart du temps, pas conscients que des informations sont prises en permanence. « Les internautes devraient être plus exigeants », conclut Mark Surman. Si les grandes compagnies du Net ne souhaitent pas que les utilisateurs soient informés et nourrissent cet obscurantisme, il apparaît nécessaire qu'une véritable culture numérique éclairée intègre les systèmes éducatifs.
