En 2020, les techniques traditionnelles japonaises de construction en bois ont été inscrites au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'Unesco. Parmi celles-ci figurent le kigumi, une méthode d'assemblage aussi solide qu'ingénieuse qui n'en finit pas de fasciner.
Les forêts recouvrent encore près de 70 % du territoire japonais. Une abondance de ressources en bois qui, couplée à l'ingéniosité des charpentiers du pays du Soleil-Levant, a donné naissance il y a plusieurs millénaires à de nombreuses techniques de construction toujours d'actualité. À l'instar du kigumi, une méthode d'assemblage qui ne nécessite ni clou, ni colle, ni vis. Taillées, puis poncées au millimètre près, les pièces de bois se combinent parfaitement les unes aux autres, donnant une impression globale d'unité. Mais d'où vient exactement cette technique ? À quels besoins répond-elle ? Et comment peut-on s'en inspirer ? On se penche sur les pièces d'un puzzle bien imbriqué.
Un lointain secret
De nos jours, le kigumi se dévoile sur YouTube, où les vidéos (par ailleurs très bien réalisées) des menuisiers tels que H Carpenter ou Dylan Iwakuni cumulent plusieurs millions de vues. Mais on le retrouve encore au musée, comme à la Maison du Japon, à Paris, où l'exposition « L'art des charpentiers japonais » a rencontré un franc succès en 2024. Pourtant, tel n'a pas toujours été le cas, au contraire !
Durant plusieurs millénaires, les secrets de cet artisanat se transmettaient uniquement au sein d'une même famille, du maître à ses apprentis. Un héritage lointain puisque ses prémices remonteraient à l'ère Jōmon, une période « préhistorique » déjà fort sophistiquée. C'est au cours du VIe siècle, avec l'essor du bouddhisme dans le pays, que le kigumi s'est véritablement affirmé comme un art à part entière pour la construction, notamment de temples.
Conditionné par (et pour) son environnement
Rappelons que le Japon est une terre volcanique qui dispose d'une manne de bois conséquente mais de peu d'acier. C'est donc à la fois une question de ressources et d'environnement qui a conditionné l'émergence du kigumi. Or celui-ci s'avère particulièrement utile sur un territoire marqué par des séismes récurrents, d'autant plus qu'un assemblage en bois résiste mieux que la pierre aux mouvements. Ainsi, s'il peut s'incliner et se déformer, ce type de construction ne s'effondre pas sous les vibrations. Sans utiliser de clous, ni de vis, on évite également que la corrosion naturelle du métal ne gagne le bois.
S'associer pour mieux durer
Et si certaines bâtisses japonaises en bois vieilles de plus de 1 000 ans, comme le temple Hōryū-ji à Nara, sont toujours debout aujourd'hui, c'est que le kigumi permet de réparer l'ouvrage, en récréant simplement la ou les pièces endommagées, de manière à reproduire l'embrèvement. Mais encore faut-il les connaître ! On recense près de 4 000 possibilités d'assemblages, servant tout aussi bien à la confection de charpentes que de meubles ou d'objets…
(Très) sommairement, on peut parler de « tsugite », pour assembler deux pièces de bois et former une extension, de « kumite », un joint à proprement parler, et de « shiguchi », des joints spécifiques pour les angles. Et comme une image vaut parfois mille mots : si la curiosité vous pique, jetez un œil au site Thejoinery.jp, qui montre comment fonctionnent certaines de ces jonctions en 3D.
La boîte à outils
Tout en finesse et pourtant si robuste, ce travail du bois a de quoi créer des vocations. Cependant, devenir un vrai pro du kigumi – un « miyadaiku » (charpentier spécialiste de la construction de temples bouddhistes) – demande de s'armer de patience. La formation dure environ dix ans, et le travail nécessite une connaissance sophistiquée du bois, ainsi que de nombreux outils de mesure, marquage, découpe, ponçage et rabotage.
Toutefois, joie de l'internet, de nombreux tutoriels en ligne se proposent de vous aider à réaliser un assemblage kigumi de A à Z. Les bricoleurs aguerris ne manqueront pas de soulever la ressemblance avec le tenon mortaise, mieux connu en Occident… tandis que les plus contemplatifs préféreront se détendre, devant le savoir-faire hypnotique des artisans.