Les arbres accomplissent quotidiennement un exploit technique remarquable : transporter l'eau des racines jusqu'aux feuilles à des hauteurs dépassant parfois trente mètres, sans l'aide d'aucune pompe mécanique. Cette prouesse repose sur un système ingénieux mais fragile, surtout en cas de canicule. Gare à l'embolie gazeuse !
La circulation de la sève au sein d'un arbre constitue un flux incessant d'allers-retours. D'un côté la sève brute est hissée vers les feuilles à l'intérieur du xylème, un réseau de « tuyaux » microscopiques rigides composés de cellules mortes. Cette sève brute n'est autre que de l'eau chargée de sels minéraux puisés dans le sol. Ensuite, le phloème assure la redescente de cette même sève, désormais « élaborée », chargée des sucres produits par la photosynthèse, et la conduit vers les racines et les zones de stockage. C'est l'évaporation de l'eau au niveau des feuilles, générée par la chaleur du rayonnement solaire, qui crée la puissante aspiration actionnant tout le système. Mais attention, celui-ci n'est pas infaillible, quelques bulles suffisent à le faire disjoncter…
Une pression précaire
Pour fonctionner, la sève brute est comprimée dans le xylème à des pressions négatives, bien inférieures à la pression atmosphérique. Ainsi la sève est-elle « tirée » vers le haut comme un élastique tendu. Dans ces conditions extrêmes, elle devrait normalement se vaporiser, mais elle reste liquide grâce à la cohésion exceptionnelle de ses molécules d'eau qui s'accrochent les unes aux autres grâce à de solides liaisons hydrogène. Cet état est dit « métastable » : stable en apparence, mais fondamentalement instable. Le moindre grain de sable peut tout faire basculer.
Quand l'équilibre se rompt
En cas de stress hydrique intense induit par une période caniculaire, l'évaporation accrue au niveau des feuilles augmente drastiquement la tension dans tout le système. Au-delà d'un certain seuil, qui varie selon les espèces, elle atomise l'eau en vapeur par le phénomène de la cavitation. Les bulles de vapeur se remplissent alors des gaz dissous dans la sève (CO2, oxygène, azote). Elles grossissent rapidement sous l'effet de la pression négative et bouchent les phloèmes, créant une embolie gazeuse, comme un caillot sanguin qui obstrue une artère : la circulation s'arrête brutalement, et la sève ne peut plus alimenter les parties situées au-delà du bouchon.
Architecture végétale et résistance
Toutes les plantes ne sont pas égales face à l'embolie. Les fougères, avec leurs réseaux simples et linéaires, s'effondrent rapidement : une seule grosse nervure bouchée suffit à dessécher toute la feuille. Les conifères ont développé un système intermédiaire : de minuscules sas connectant les vaisseaux entre eux se ferment mécaniquement dès qu'une embolie apparaît, isolant immédiatement la zone touchée. Les arbres à fleurs (angiospermes) ont quant à eux opté pour des architectures plus sophistiquées : un réseau maillé avec de multiples connexions composées de vaisseaux de tailles variées. Quand une « route » se bouche, d'autres restent ouvertes.
Stratégie de survie
Heureusement, les arbres ne subissent pas passivement l'embolie. Ils ont développé des mécanismes de défense : fermeture des stomates foliaires pour limiter l'évaporation, segmentation du réseau pour confiner les dégâts, ou systèmes de « réparation » pour déboucher les vaisseaux endommagés. Ainsi, l'embolie peut être évitée ou cantonnée par le compartimentage du réseau, empêchant la propagation généralisée. Mais quand elle se généralise, alors là, c'est l'arbre entier qui meurt.
Et le gagnant est…
Des études poussées simulant des embolies artificielles ont permis de tester le taux de résistance à l'embolie gazeuse de différentes espèces. Le champion est le Callitris tuberculata, un conifère australien capable de survivre à des conditions extrêmes… mais introuvable en jardinerie.