Microsoft a définitivement mis fin à Skype, vingt-deux ans après son lancement. Ce pionnier des appels vidéo laisse place à Teams, symbole d'une nouvelle ère de communication plus intégrée et plus professionnelle, où la concurrence est rude.
Le 6 mai dernier, Skype a cessé d'émettre. Le fameux logiciel aux appels gratuits, aux sonneries reconnaissables entre mille et aux vidéos saccadées mais pleines d'émotion, rejoint à son tour le cimetière numérique où reposent déjà MSN, Caramail et MySpace. Lancé en 2003, Skype fut le premier à démocratiser la visiophonie sur Internet, bien avant que Zoom ou WhatsApp ne deviennent des réflexes. En vingt-deux ans, il a laissé une empreinte indélébile sur des millions de vies connectées. Sa disparition, orchestrée par Microsoft au profit de sa plateforme Teams, ne signe pas seulement la fin d'un outil : elle raconte aussi un basculement plus vaste.
Une invention européenne devenue phénomène mondial
Skype naît en 2003 d'une ambition simple : permettre à chacun de parler gratuitement, d'un coin du monde à l'autre. À l'origine du projet, deux entrepreneurs scandinaves, Niklas Zennström et Janus Friis, épaulés par une équipe de développeurs estoniens déjà connus pour Kazaa, un logiciel de partage de fichiers controversé. Leur nouveau pari s'appuie sur une technologie innovante pour l'époque, le peer-to-peer, qui permet de faire transiter la voix sur Internet sans passer par les réseaux classiques des opérateurs. Le succès est immédiat : 54 millions d'inscrits en 2005, 100 millions l'année suivante. Skype devient rapidement un verbe, une habitude, une promesse de lien direct et sans coût. Cette réussite attire l'attention des géants américains. eBay débourse 2,6 milliards de dollars pour l'acquérir, avant de le revendre en 2009 à un groupe d'investisseurs. En 2011, c'est Microsoft qui met la main sur le joyau pour 8,5 milliards de dollars, sa plus grosse acquisition à l'époque. Mais l'outil, désormais sous pavillon américain, entre alors dans une longue zone de turbulences.
Un rêve bleu
À son apogée, Skype ne se contentait pas d'être un outil : il était devenu un symbole. Celui d'un monde qui découvrait qu'il pouvait se parler, se voir, se réunir à distance, sans frais ni frontière. Dans les années 2000, il incarnait une forme de magie technologique rendue accessible : celles et ceux qui avaient connu les appels internationaux hors de prix découvraient soudain qu'ils pouvaient parler des heures avec un proche vivant à l'autre bout du globe, pourvu qu'il ait lui aussi une connexion Internet. Les conversations passaient par la voix, puis par la vidéo, avec cette image granuleuse et ces décrochages sonores parfois agaçants mais toujours pardonnés. On s'organisait des « Skypéros » bien avant l'invention du mot, on tombait amoureux, on travaillait ensemble, on apprenait des langues, on gardait le lien. Skype a accompagné une génération d'expatriés, d'étudiants, de familles éclatées sur plusieurs continents. Il a également inauguré une nouvelle manière de vivre les relations, plus fluide, plus immédiate, plus numérique.
Nouvelle ère
Si Skype a ouvert la voie, il n'a pas su tenir la cadence face à une nouvelle génération d'outils plus souples, plus intuitifs, mieux intégrés aux usages mobiles. FaceTime, WhatsApp, Google Meet, Discord, puis surtout Zoom et Microsoft Teams ont peu à peu relégué Skype au rang d'ancêtre sympathique mais dépassé. La pandémie de Covid-19 a accéléré ce déclassement, consacrant Zoom comme le roi de la visioconférence, tandis que Teams s'imposait dans les environnements professionnels. Microsoft, propriétaire des deux derniers, a fini par trancher : plutôt que de maintenir deux services concurrents, mieux valait miser sur le plus prometteur. Teams, lancé en 2017, a été pensé dès le départ comme une évolution de Skype, intégrant messagerie, visioconférence et outils collaboratifs dans une interface unifiée. En 2023, il comptait déjà 320 millions d'utilisateurs quotidiens, contre 36 millions pour Skype. Aujourd'hui, Microsoft veut en faire son fer de lance. L'heure n'est plus à la nostalgie, mais à la consolidation.