Culture
Sébastien Tellier
« Des pulsions de compositions », le désir de « s’envoler et de fuir très loin ». Voilà ce qui a donné naissance à Domesticated. 6 ans après L’Aventura, il était temps pour Sébastien de retrouver le huis-clos nécessaire à sa création personnelle.
Six ans après la sortie de L’Aventura, après avoir signé quelques musiques de film pour le plaisir et écrit un disque pour Dita Von Teese, il était temps pour Sébastien Tellier de retrouver le huis-clos nécessaire à sa création personnelle. C’est dans le studio de Bernard Estardy, CBE, dans le 18e arrondissement parisien, qu’il a travaillé Domesticated, comme à la maison, sans se presser : « Quand on compose, on est naturellement à vif… et j’avais besoin de me sentir protégé. »
Dans la dernière scène du film culte de Michelangelo Antonioni, Zabriskie Point, sorti en salles il y a 50 ans, voltigent dans les airs des objets du quotidien. Une télévision, un dressing, des tables… Un peu comme dans la vie de Sébastien Tellier. Désormais marié et père, il sait reconnaître les produits ménagers au supermarché, et les mythes de la consommation façon Roland Barthes n’ont plus de secret pour lui. Même si, rassurons-nous, il reste également – et avant tout – l’un des auteurs-compositeurs français les plus surprenants, en perpétuelle recherche d’inspiration.
L’objet de ce sixième album solo et studio ? « Transformer le quotidien en exceptionnel, répond Tellier. Qui échappe aux tâches domestiques, hormis les dictateurs ? Elles font partie de la condition humaine qu’on partage tous. Le chemin de croix, malgré tous les bonheurs qu’elle apporte, c’est la vie elle-même. Sans obligations, sans efforts, un homme peut-il être vraiment heureux ? » Ainsi, les textes sont d’une sincérité abrupte, proches de l’intimité de Tellier tout en étant universels. C’est d’ailleurs Sofia Coppola, avec qui il échangeait un soir sur le pouvoir du topique familial dans la création, qui lui a suggéré le titre de l’album. « Nous ne sommes plus sauvages depuis longtemps, affirme le musicien. Je suis domestiqué, mais comme le reste de l’humanité. »
En cela, il rejoint, avec plus d’optimisme cependant, les dires de Nietzsche sur la « domestication de la bête humaine. » Ici, celle-ci est multigénérationnelle et non genrée : loin de cantonner la femme aux tâches du foyer, Tellier se considère donc tout aussi concerné. Ce qui rend le sujet d’autant plus passionnant. Même si, de « A Ballet » à « Won », Tellier chante l’amour, l’évasion, la célébration et le partage, confirmant que la musique adoucit (radicalement) les mœurs. Bien qu’il se sente très à l’aise au studio CBE, l’artiste repousse ses limites et innove son processus artistique, à la quête d’un son ultra actuel. Ce n’est pas un hasard s’il fait appel à Nk.F, habitué de PNL et autres, pour le mixage. Tout d’abord, il enregistre la voix : « Tout a été arrangé d’après et autour d’elle. Elle est liée de près à la mélodie, le terreau fondateur de l’album même s’il est empreint des sonorités contemporaines, voire futuristes. Si c’est un disque électronique, ni les synthés ni les boîtes à rythmes ne lui font perdre son âme. Des basses très rondes, des aigus très marqués... En musique, le rythme incarne l’ordre et la mélodie, elle, incarne l’humanité. »
Pour ce faire, il s’entoure de musiciens et beat-makers européens ou anglo-saxons, qui offrent à Tellier leur expertise et leur enthousiasme : l’Anglais Jam City, John Carroll Kirby et Daniel Stricker de Mind Gamers, Varnish La Piscine, jeune Suisse surdoué, le regretté Philippe Zdar, avec lequel il a enregistré le réjouissant « Venezia », quelques mois avant le décès de ce dernier. Au milieu d’un océan de producteurs, Tellier s’invente une île enchantée, dédiée à la mélodie. Tous les matins, au réveil, encore embrumé par le sommeil, le chanteur saisit ses humeurs et ressentis. En cela, il nous rappelle le récent processus du peintre anglais David Hockney, qui, de son lit à l’aurore, dessine sur l’iPad la vision qu’il a de sa fenêtre. Entre rêve et réalité, ce moment de la journée donne le ton des enregistrements qui suivront : « C’est là où l’émotion est la plus dramatique : très romantique quand je commence à écrire sur une personne que j’aime, très puissante quand c’est à propos de quelqu’un que je déteste. »
Son principal compagnon de bord, le multi instrumentiste Corentin Kerdraon, connu sous le nom de scène de nit, se révèle être « un trésor caché » trouvé au dernier moment pour ce disque. Il l’accompagne dans son voyage musical quotidien, produisant une grande partie des titres de l’album, dont un « Oui » qui leur prend des nuits entières. Les nuances sont travaillées jusqu’à plus soif sans pour autant occulter la spontanéité – indispensable, toujours, pour Sébastien Tellier.
On tient là son album le plus dense, cohérent. En un mot, solide. Ce que confirme son auteur : « Je le voulais débarrassé de mes vieux démons, du poids de l’adolescent que j’étais, j’ai gardé seulement le meilleur de mes expérimentations. » À 44 ans, les enfantillages n’ont plus cours pour Tellier. Mais la fantaisie demeure, transcendée par les harmonies d’une pop nourrie de R’n’B, de new wave, de reverbe ou d’acoustique. À la fois parisienne et californienne, habitée par des fantômes de Detroit ou de Manchester, ouverte sur le monde – réel ou imaginaire, qu’importe. L’important ici, c’est de parler de soi tout en parlant des autres.
Lieu
12 Esplanade Andry Farcy
38000 Grenoble
Organisateur
La Belle Electrique
Téléphone 04 69 98 00 38
Page facebook https://fr-fr.facebook.com/labelleelectrique
Tarif
Plein tarif : de 26 à 30 € (26/28/30€).