Longtemps garants de la frontière entre humains et robots sur internet, les emblématiques Captcha, témoins d'une époque au crépuscule, sont aujourd'hui dépassés par l'intelligence artificielle. Leur lente agonie dévoile de nouveaux défis pour la sécurité et l'accessibilité du web.
Depuis plus de vingt ans, les Captcha ponctuent la navigation sur internet comme un rite de passage obligé. Ces petites énigmes – qu'il s'agisse de déchiffrer un mot gribouillé ou de repérer des feux rouges sur des photos – ont longtemps servi de gardiens de la frontière entre l'humain et la machine. Mais à l'heure des grands modèles d'intelligence artificielle (IA), l'équilibre vacille. Propulsée par des algorithmes de plus en plus agiles, la frontière se brouille et l'ancien rempart faiblit. Les Captcha, devenus presque transparents pour les robots, peinent à remplir leur mission première. Derrière cette évolution technique, c'est toute la question de la confiance sur le web qui se redessine, dans un monde où distinguer l'homme du programme devient un défi inédit.
Patte blanche
Apparus au début des années 2000, les Captcha — acronyme pour « Completely Automated Public Turing test to tell Computers and Humans Apart » — ont d'abord revêtu la forme de simples mots déformés, à transcrire pour prouver sa nature humaine. Leur logique était implacable : exploiter les faiblesses des machines en reconnaissance optique, là où l'œil humain et le cerveau faisaient merveille. Rapidement, la technique s'est affinée. Les Captcha se sont diversifiés, proposant des puzzles visuels, des suites de chiffres, puis des tests plus élaborés où il fallait reconnaître des objets dans une mosaïque d'images.
Un jeu d'enfant
Mais l'histoire du Captcha est aujourd'hui rattrapée par celle de l'intelligence artificielle. En juillet 2024, Ars Technica rapportait que l'IA d'OpenAI, via son agent payant, parvient désormais à cocher la fameuse case « Je ne suis pas un robot » sans sourciller. Quelques mois plus tard, une équipe suisse démontrait qu'avec un modèle d'IA accessible au public, il était possible de résoudre les Captcha de sélection d'images avec une efficacité de 100 %. « Tout le monde peut casser les Captcha à l'aide d'un programme d'intelligence artificielle d'accès public », constatait alors Andreas Plesner, chercheur ayant participé à l'étude. Les IA, autrefois repoussées par ces tests, en sont désormais les championnes toutes catégories, reléguant les défenses inventées il y a vingt ans au rang de simple formalité.
Nourriture pour robots
Ironie cruelle, les Captcha ont eux-mêmes nourri les IA qui les surpassent aujourd'hui. En faisant cliquer des millions d'internautes sur des vélos, des bus ou des mots illisibles, des géants comme Google ont constitué d'immenses bases de données pour entraîner leurs algorithmes de reconnaissance. Chaque puzzle résolu a affiné la compréhension des machines, jusqu'à rendre ces dernières capables de résoudre en un éclair ce qui, autrefois, mettait en échec les ordinateurs. Les Captcha, outils de défense, sont ainsi devenus involontairement des formateurs d'élite pour les IA qui les ont détrônées.
Vers de nouveaux pièges
Face à l'obsolescence programmée des Captcha traditionnels, de nouvelles stratégies émergent pour maintenir la barrière entre humains et robots. Certains acteurs misent sur l'analyse du comportement de navigation : mouvements de souris, vitesse de frappe ou hésitations deviennent autant de signaux à interpréter. D'autres explorent des formes d'authentification plus subtiles, comme la vérification biométrique à la volée — empreintes digitales, reconnaissance faciale ou vocale —, déjà intégrées sur certains smartphones et sites sensibles. Mais ces alternatives, souvent plus intrusives, soulèvent des inquiétudes sur la protection de la vie privée et l'accessibilité du web. La quête du successeur du Captcha, loin de se limiter à une prouesse technique, cristallise ainsi un dilemme contemporain : comment sécuriser l'espace numérique, déjà bien dégradé par les cookies, les pop-up ou les publicités, sans le rendre inhospitalier pour ses utilisateurs humains ?